Une commission d’enquête de la Knesset a fustigé un secteur financier « négligent » qui a « systématiquement » élargi ou effacé ses prêts à de riches hommes d’affaires
Le chef d’une commission d’enquête parlementaire transpartisane a vivement condamné les banques israéliennes qui se rapprochent systématiquement des magnats du monde des affaires en leur offrant des prêts démesurés, en effaçant parfois des centaines de millions de shekels de leurs dettes puis en équilibrant leurs propres registres de comptes en facturant davantage les services financiers offerts au quotidien à leurs clients.
Au cours des années, a noté l’enquête, les pratiques intenables des banques et l’incapacité de les réguler de façon efficace ont coûté des milliards de shekels au peuple israélien.
Dans un rapport émis mardi, le président de la commission et député travailliste sortant Eitan Cabel (qui n’est pas parvenu à se faire élire à la 21ème Knesset lors du scrutin qui a eu lieu le 9 avril dernier) a également fustigé les banques qui, selon lui, font tout ce qui est en leur pouvoir pour dissimuler des informations à la commission.
La commission a estimé qu’il y avait un « vide régulatoire », sans sanctions et sans moyens de dissuasion face aux « graves négligences » dans l’octroi de crédits. Les régulateurs, et en particulier ceux qui supervisent les banques, sont « pris en otage » par les instances mêmes qu’ils sont supposés surveiller.
« Les régulateurs n’ont pas supervisé, ils n’ont pas vérifié, ils n’ont pas enquêté, ils n’ont pas usé de leur autorité pour imposer des sanctions et ils n’ont pas transmis d’informations au public comme ils auraient dû le faire », note le rapport.
La commission parlementaire avait été établie au mois de juillet 2017, suite à plusieurs dossiers de haut-rang qui avaient impliqué l’endettement massif de magnats du monde des affaires et l’effacement de proportions significatives de ces mêmes dettes.
Entre autres choses, elle s’est intéressée à la manière dont les banques et autres instances du secteur financier – comme les fonds de pension et d’investissement – avaient pu prendre la décision d’accorder des prêts importants, quelles étaient les garanties qui avaient alors été réclamées, quelles sanctions avaient pu être prises si les dispositions du prêt n’avaient pas été respectées, et comment les institutions de régulation avaient alors appliqué les règles de protection de la stabilité du système financier.
Dans l’introduction du rapport, Cabel rappelle le crash financier connu dans les années 1980, écrivant que pendant des décennies, le système financier était resté un « trou noir », « un club fermé et exclusif » auquel même les membres de la Knesset n’avaient pas pu accéder pour en examiner la gestion.
En 1995, la commission Brodet avait exposé la manière dont les relations proches entre banques et grandes entreprises venaient fausser l’économie. En 2004, la commission Bachar avait, pour sa part, révélé les conflits d’intérêts dans les banques. Et enfin, en 2016, la commission Strum s’était penchée sur le manque de concurrence au sein du secteur bancaire.
« C’est comme si rien n’avait changé entre-temps », écrit Cabel. « Les portes des banques sont restées verrouillées face aux mécanismes d’inspection de la Knesset. Les banques, fortes d’avis juridiques et avec le soutien de la banque d’Israël, ont refusé de donner à la commission d’enquête les informations qui leur avaient été demandées ».
Malgré ces limitations, l’image qui a émergé « sans l’ombre d’un doute » est celle d’un système bancaire assailli par des problèmes profondément ancrés – et dont les implications sociales et économiques sont immenses pour les Israéliens, dit le rapport.
« Le fait que les banques se montrent généreuses vers un secteur en particulier et qu’elles fassent crédit, sans même y réfléchir, à tel ou tel magnat – à ceux qui ont un ‘halo’, comme le dit la banque d’Israël » – implique que d’autres sont désavantagés et que la concurrence est, elle aussi, durement frappée, ajoute le rapport.
La réalité des banques « effaçant des dizaines et des centaines de millions de shekels » des dettes des plus riches hommes d’affaires implique que quelqu’un d’autre doit fournir ces fonds, selon le rapport. Ce « quelqu’un d’autre », continue-t-il, est le public israélien.
« Vous voyez, c’est étonnant. Alors que les banques oublient des dettes énormes contractées par des personnalités qui ont un ‘halo’ (un surnom inventé par les superviseurs des banques), elles ne perdent pas d’argent et elles préservent leurs profits. Alors pourquoi n’en perdent-elles pas ? Parce qu’elles ont d’autres secteurs dans lesquels elles peuvent faire tant et plus de bénéfices en augmentant les prix, encore et encore : Les frais bancaires, les intérêts, et ainsi de suite », explique le rapport.
« Nous ne parlons pas d’un ou deux cas, mais bien d’un modèle systématique de comportement. Pendant des années, les banques ont effacé des millions de shekels des dettes des magnats ».
Il ne s’agit pas seulement d’Eliezer Fishman et de Nochi Dankner, mais aussi de Motti Zisser, Yitzhak Tshuva et de nombreux autres, continue le rapport, ajoutant que ce sont les Israéliens dans leur ensemble qui ont financé les « déjeuners gratuits des magnats » tandis que les banques poursuivaient les débiteurs ordinaires jusqu’au dernier centime et leur envoyaient les huissiers.
Une concurrence réelle entre les grands établissements bancaires pourrait résoudre une partie du problème, mais la concurrence est médiocre.
Les dettes s’accumulent d’une année à l’autre avec un effet boule de neige, ne cessant d’augmenter – ce qui nécessiterait une prise en charge immédiate.
« Nous sommes particulièrement inquiets face au pouvoir des actionnaires majoritaires et directeurs de banques et d’institutions financières vis-à-vis de leurs propres systèmes de supervision interne – conseils d’administration, contrôleurs internes, comptables – aucun d’entre eux n’a tiré le signal d’alarme face à un événement qui sortait de l’ordinaire ».
Sur le marché des capitaux, qui est estimé à 7,1 trilliards de shekels, le manque de régulation est encore plus grave, affirme le rapport. Les citoyens n’ont pas réalisé que chaque famille possède un investissement moyen de 600 000 shekels dans ce marché – par exemple, via des fonds de pension.
L’Autorité israélienne des titres fait des recherches « à tâtons » alors que les banques n’ont pas partagé leurs audits avec les mêmes autorités. Pas plus, d’ailleurs, que l’Autorité antitrust n’a enquêté sur une éventuelle constitution de cartel par les banques.
Les recommandations de la commission comprennent la création d’une commission spéciale à la Knesset qui serait chargée de superviser les autorités qui contrôlent le secteur financier et qui devrait également s’entretenir avec les hauts-responsables une fois par an ; un plus grand partage des informations entre les différentes instances de supervision et le renforcement de la gouvernance d’entreprise au sein des institutions financières, un renforcement également des pouvoirs des régulateurs et de la capacité d’une commission parlementaire à obtenir les informations dont elle a besoin, notamment par la possibilité de convoquer des individus pour offrir un témoignage sous serment. Dans ce dernier cas, une commission d’enquête – dotée de pouvoirs supplémentaires – n’agirait qu’avec le consentement de toutes les factions de la Knesset.
Le magnat des médias et de l’immobilier Fishman a été déclaré en faillite au mois de juin 2017 dans la plus grande affaire de banqueroute de toute l’histoire d’Israël. Ce jugement avait été rendu après le refus des créanciers de conclure un accord qui aurait permis d’effacer 92 % de la dette personnel de l’homme d’affaires, qui était estimée à environ 1,5 milliard de shekels.
Au mois d’octobre dernier, Dankner, ancien actionnaire majoritaire de l’entreprise IDB Holding Corp., a commencé une peine de prison de trois ans pour manipulation d’actions et autres condamnations liées aux valeurs.
Dankner s’était massivement endetté auprès des banques et il s’était heurté à un mur lorsqu’il avait tenté de soulever des liquidités ou de contracter des prêts supplémentaires. Il a été reconnu coupable d’avoir mené des transactions frauduleuses à hauteur de plusieurs millions de dollars en tentant d’influencer le prix des actions de l’entreprise qui était alors en difficulté.
En 2016, le magnat de l’immobilier Zisser était mort d’un cancer après avoir accumulé 2,5 milliards de dettes – dont 1,8 milliard qui avait été effacé. Zisser avait été placé dans l’obligation d’abandonner le contrôle de la société de portefeuille Elbit Imaging dont il était le plus important actionnaire.
En 2012, le quotidien spécialisé dans l’économie Marker avait noté que, l’année précédente, loin du regard du public, la Banque Leumi avait effacé 48 % d’une dette s’élevant à 270 millions de shekels contractée par Tshuva, propriétaire du Delek Group, dans le cadre d’un accord de restructuration de son endettement.
Tshuva qui, selon Forbes, pèse 4,3 milliards de dollars, est un magnat de l’énergie et du secteur de l’immobilier.
En 2015, Cabel, qui était alors à la tête de la commission des Affaires économiques de la Knesset, s’était opposé au Premier ministre Netanyahu en raison d’un accord de gaz controversé qui accordait le contrôle des champs gaziers substantiels qu’Israël venait de découvrir à deux corporations – le Delek Group, dont Tshuva est actionnaire majoritaire, et Noble Energy.
Répondant au rapport de la commission d’enquête, la Banque d’Israël a fait savoir dans une déclaration faite au Marker que le document avait ignoré « des faits matériels et de nombreux changements qui ont d’ores et déjà été effectués, arrivant à des conclusions erronées et faisant des recommandations qui impliquent des risques sans analyse des implications futures ». Elle a ajouté que la stabilité financière d’Israël prouvait l’efficacité des mécanismes de supervision.
L’Association des banques d’Israël a pour sa part confié au journal que les frais bancaires payés par les clients en Israël étaient similaires à ceux payés à l’étranger.
A SUIVRE